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Jérusalem. De l’importance des sons et du silence des lieux traversés sur la route de la Terre sainte.

Ondes méditerranéennes

1 Message // samedi 2 juillet 2011

Culture 01/07/2011 à 00h00
Ondes méditerranéennes
portrait

Jérusalem. De l’importance des sons et du silence des lieux traversés sur la route de la Terre sainte.

Par PAOLO RUMIZ Ecrivain, journaliste à « la Repubblica »

on Libé+

Etoiles filant au-dessus du désert, lumières sans fin de la Mésopotamie vues des monts d’Anatolie, bougies entourant de très saintes icônes. Un taureau égorgé qui plie les genoux, des nuages d’encens découpés par les épées des rayons de l’aube. Du voyage en Terre sainte, je suis revenu avec des trésors d’images. Et pourtant… ne me demandez pas ce que j’ai vu. Demandez-moi ce que j’ai entendu. Les images ne sont rien comparées aux sons. Vent, murmure, grondement, litanie : voilà ce qui rend unique la route. Le silence surtout, qui la résume, quand la nuit réveille le parfum des fleurs de moutarde sur le Jourdain.

Les lieux ont une voix. Le sacré est caisse harmonique, chant qui emplit le vide et la pénombre. Je l’ai compris à Jérusalem, lorsque j’ai entendu la voix du peuple du Livre.

Il m’est arrivé à la fin du voyage d’entrer dans une yeshiva, une académie talmudique du quartier orthodoxe de Mea Sharim. Un de ces lieux où le Livre se trouve comme épuisé à force d’interprétations. Et là, du haut d’une balustrade, j’ai vu le fourmillement de noires houppelandes murmurantes. Des juifs hommes qui lisaient par couples, alignés comme des rameurs sur des bancs de nage.

Chaque couple lisait à haute voix son passage des Ecritures. L’un grommelait, l’autre exultait, l’autre encore enrageait contre lui-même de ne pas avoir compris le texte. Je n’étais pas en présence de la sanctification d’un manuscrit indiscutable. Juste le contraire. Il y avait là le peuple d’Abraham qui revendiquait fièrement son droit à l’interpréter comme il voulait. La Parole était coupée en tranches, éreintée par un terrible corps à corps. Mais c’est le son qui était incroyable. Ce n’était guère le brouhaha d’un marché aux poissons ni de la corbeille de la Bourse. Mon oreille captait un bruit symphonique et propre, comme celui d’un torrent. Et ce son contenait en lui les sons que j’avais enregistrés, durant mon voyage qui jusque-là m’avait fait traverser les Balkans et la Turquie.

Le chœur magnifique des Ukrainiennes immigrées en Italie, dans la pénombre de la crypte de San Nicola, tandis que, dehors, des flottilles d’hirondelles emplissaient de cris le ciel des vieux quartiers de Bari. La cornemuse solitaire de Macédoine qui appelait à la prière comme à une bataille, disait l’inéluctabilité de l’affrontement, du destin, et ouvrait la voie aux amanedes ou aux rebetiko - chants déchirants d’une Grèce perdue, d’Ephèse et Smyrne, balayée par la fin des empires.

Puis le lugubre tonnerre sur le mont Athos, tendu comme un voilier vers la mer Egée, ou encore, au nord de Salonique, selon un rite terrible nommé Anastenaria, le chant des Thraces accompagnant le sacrifice du taureau, les bals des hommes tenant dans leurs bras des icônes, et l’invocation de Kostantinos, saint guerrier et empereur.

Puis le tonnerre planétaire des minarets, à l’heure de la prière du soir, à Istanbul, une vague qui arrive d’Asie et annihile le chant des Grecs barricadés dans le patriarcat - Grecs auxquels il est interdit de faire sonner les cloches, Grecs murmurant des mots antiques, Ouranòs, Kosmos, Angelos, Anthropos… Ou encore le halètement rauque, presque un orgasme, des pèlerines voilées devant le dôme vert sous lequel se trouve le sarcophage de Mevlana, à Konya. L’ondoiement des soufis, avec la flûte en roseau qui chante le supplice de la séparation et la douceur de l’absence.

Et que dire de la tempête des langues à Antioche, où les juifs prient en grec, les Grecs en arabe, les catholiques en turc, les syriaques en araméen… où les Turcs écoutent l’arabe d’un muezzin qu’ils ne comprennent pas et où seuls les Arméniens parlent leur propre langue. Des sons, pas des images. La polyphonie d’Alep, avec ses églises pleines à craquer, où la prière est la foudre d’un christianisme militant, où Dieu est appelé Allah même par les Grecs, et où les syriaques entonnent des chants guerriers, les plus anciens de notre foi, les chants d’Urfa - cadencés, de ténèbres.

Ce soir-là, à Mea Sharim, je me souvins du grincement de la grande porte du monastère de Ma’alula, en Syrie, qui s’ouvrait devant un pèlerin russe, un vénérable vieillard qui se prosterna jusqu’à terre devant une icône, juste pour commencer le plus fantastique et le plus arrondi des signes de croix que j’aie jamais vus.

Eclairs de sonorités qui, de la grande montagne de glace qui craque dans la nuit - la face est du mont Rose ouverte comme une antenne parabolique vers l’Immensité -, reviennent jusqu’ici, portés par le vent du désert du Néguev. Voilà. Une nuit, vers 4 heures, à Decani, monastère orthodoxe du Kosovo, le battement de la simandre, le petit marteau en bois qui appelle à la prière du matin. TA - ta - ta - ta. TA - ta - ta - ta. Ta - ta - TA - ta - TA - ta - ta - ta. Je revois un moine barbu, aussi grand qu’un joueur de basket, qui fait le tour de l’église, en tapant sur son instrument millénaire comme un petit soldat mécanique avec une clé dans le dos. Et voilà, sur le plafond en bois au-dessus de ma cellule, le bruit de pieds nus, de sandales chaussées à la hâte sur le palier, de pas descendant l’escalier, puis frappant le gravier de la cour.

En l’église, pendant ce temps, dans le scintillement des icônes, les femmes pieuses chantaient déjà, attendant le bourdon de l’archimandrite, qui, sur le seuil des portes royales, annonce le sacrifice du pain. Et ce n’était que le début - avant que passereaux, merles et mésanges ne chantent comme des fous Ses louanges… Et que dire de la Cappadoce, où je rencontrai Ali, qui écrivait des poèmes pour la Lune. Il m’en lut un, pour célébrer son premier rayon, dans la crypte d’une église rupestre jadis chrétienne. Il me dit : « Ecoute » - mais ne prononça aucun mot. Au lieu de déclamer des vers, il dessina dans le silence complet une spirale ascendante avec la main droite. C’était un hendécasyllabe fait uniquement de pauses.

L’amour et la Lune se muèrent en une langue pointue, de diérèses et de consonnes - faite pour dire les choses essentielles. Et cette langue remplit la termitière de la foi au cœur de l’Anatolie. C’est alors que les coqs s’y mirent. Le premier chanta, et les autres répondirent des vallées environnantes. Puis ce fut le tour des chiens de Nevsehir, et d’autres chiens leur firent écho des montagnes proches. Les derniers, quand le ciel devint couleur safran, ce furent les ânes. Des braiments déchirants dessinèrent avec une impressionnante fidélité, la topographie du lieu, refuge du premier christianisme.

Ne manquait qu’un son. Celui des cloches. Les dernières avaient sonné une soixantaine d’années auparavant, mais personne ne le disait, pas même le Vatican, ni les dépliants des excursions paroissiales.

A Mardin, en Turquie - balcon, sur l’Euphrate et le Tigre, s’ouvrant vers la frontière irakienne -, je fus accueilli par des cris d’enfants, derrière l’église syriaque de Kirklar, mille ans plus ancienne que la basilique Saint-Pierre. En fait, c’était une rixe de joueurs de foot. Volaient toutes sortes de noms d’oiseaux proférés en une langue inconnue, ni turque ni arabe.

Je demandai au prêtre, qui me dit : « C’est de l’araméen. » La langue du Christ, la même que celle des annotations du Talmud. Des maîtres inflexibles la faisaient apprendre par cœur aux enfants. Les syriaques savent que, si leur langue mère disparaissait, ils disparaîtraient eux aussi, les petits-fils des Assyriens du Croissant fertile.

Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir d’autre, après tout cela, hors le silence ? Quoi d’autre, sinon le silence de la nuit à Jerushalaim, quand les moines éthiopiens, les plus pauvres de tous, allument des bougies autour de l’arbre à poivre et se couchent sur le toit du Saint-Sépulcre et le labyrinthe de mosquées et de synagogues, immobiles dans leur soutane noire. Fagots sous les étoiles.

Dernier ouvrage paru : « Aux frontières de l’Europe », ed Hoëbeke.

Traduit de l’italien par Robert Maggiori

En 6 dates

1 000 av. J.-C. Le roi David s’empare de la ville.

  • 70 Destruction du second temple par les Romains.

629 Occupation par les Byzantins.

638 Occupation par les Arabes.

1099 Premières croisades.

1947 Plan de partage de l’ONU.

Vos commentaires

  • Le 1er août 2014 à 12:50, par uyudn86 En réponse à : Ondes méditerranéennes

    Les niveaux de protection

    Les complémentaires santé offrent des niveaux de protection différents. La prise en charge varie en fonction du contrat désiré. Le choix d’une mutuelle dépend ainsi de votre situation. Il sera différent selon que vous souhaitiez privilégier certains types de soins avec par exemple une mutuelle des dents. La formule choisie définira effectivement la couverture pour la prise en charge des médicaments, en cas d’hospitalisation, des visites chez un dentiste, etc. Si vous avez des enfants, vous avez ainsi intérêt à favoriser les soins dentaires tandis qu’un retraité aura certainement plus d’exigences en soins d’optique. 

    Une mutuelle pour être bien protégé

    Une mutuelle santé n’a rien d’obligatoire mais s’avère dans les faits primordiale. En effet, cette structure prend en charge une bonne partie de vos dépenses de santé. Quand vous allez chez le médecin, la CPAM paye seulement 70% des frais et la mutuelle se charge du reste. Sans mutuelle, vous devez sortir de votre porte-monnaie 30% du tarif de chaque consultation ainsi que des médicaments. Ces frais sont encore en hausse en cas d’hospitalisation. Sélectionner une complémentaire santé ne tient pas du hasard. Avant de faire votre choix, il est fortement recommandé d’utiliser un comparateur mutuelle santé. Une quinzaine mutuelles parmi les plus importantes peuvent être comparées sur internet tout à fait gratuitement. Après quelques questions simples, les offres correspondant à vos besoins sont sélectionnées. De la sorte, vous êtes certain d’avoir accès à une complémentaire santé qui correspond vraiment à votre demande. Les informations obtenues via notre siteweb sont à titre indicatif. Vous devez ensuite contacter la complémentaire la mieux adaptée.

    Une assurance santé selon votre situation

    Le choix d’une mutuelle dépend de votre propre situation. Différentes options de mutuelle peuvent vous être proposées selon votre situation professionnelle. Si vous recherchez une mutuelle obligatoire, vous ne choisirez pas une protection semblable à d’autres. Concrètement, les ouvriers peuvent souscrire à une mutuelle entreprise tandis que que les fonctionnaires se tourneront vers une mutuelle de branche.

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